Posté par vmozo4328 le 29 avril 2010

Pour les Cubains de ma génération, l’idée même d’aspirer au succès était signe de l’atteinte d’une terrible déviation idéologique, pas seulement dans les cas de prétention à la réussite personnelle, mais également dans les domaines professionnel ou économique. On nous a éduqués à être humbles et on nous a imposé la règle selon laquelle, à réception d’une quelconque reconnaissance publique, il était obligatoire de souligner que, sans l’aide des camarades qui nous entourent, il eût été impossible d’obtenir un pareil résultat. Il en était de même pour ce qui concernait la propriété d’un objet, la jouissance d’une commodité ou l’ambition « malsaine » de prospérité.
La prétention à être compétitif était punie par des étiquettes qu’il était difficile de faire disparaître de notre dossier, comme les accusations d’être « autosuffisant » ou « immodeste ». Le succès devait être –ou paraître- collectif, le fruit des efforts de tous sous la sage direction du Parti. Nous avons ainsi appris que l’estime de soi devait être dissimulée, et qu’il fallait retenir les rênes de l’enthousiasme entrepreneur. Les médiocres ont mangé leur pain blanc dans cette société qui a fini par couper les ailes aux individus les plus entreprenants pendant que le conformisme se renforçait. C’était l’époque ou l’on devait cacher les possessions matérielles, et démontrer que nous étions tous fils de prolétaires dévoués, et que nous haïssions profondément les bourgeois.
Certains firent semblant d’embrasser l’égalitarisme mais en réalité ils accumulaient les privilèges et amassaient des fortunes, tout en répétant les discours d’appel à l’austérité. C’étaient ceux qui continuaient à dire dans leurs autobiographies qu’ils étaient issus d’une famille pauvre, et que leur aspiration principale était de servir la patrie. Avec le temps, leurs collègues de travail découvraient que derrière l’image d’ascèse se cachait un détournement des ressources de l’Etat ou une accumulation compulsive des possessions matérielles. Encore aujourd’hui, le masque de la frugalité est resté sur leurs visages, même si leurs abdomens gonflés disent tout le contraire. Traduit par Jean-Claude MAROUBY
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Posté par vmozo4328 le 22 avril 2010
Du blogue de Yoani

Avec la fuite massive des investisseurs étrangers, les rayons des boutiques montrent la situation réelle de nos finances. Ma mère m’appelle de bonne heure pour m’indiquer qu’il y a du papier toilette sur un marché éloigné ; elle dit que je dois me dépêcher parce-que l’information a déjà circulé et il n’en restera bientôt plus. Je sors et tourne mon regard à droite et à gauche, tel un ventilateur, pour voir s’il y a également quelque variété de jus à mettre dans la tasse de Teo ce matin. Mais l’épuisement est notable et les emballages tetra-packs de la marque Rio Zaza -l’ancienne entreprise d’économie mixte, aujourd’hui impliquée dans un scandale de corruption- ont disparu des boutiques. Le marché noir s’est effondré car il n’est un secret pour personne que celui-ci se nourrit du détournement de la production des usines et du vol des marchandises pendant leur transport vers les commerces.
Même les entrepreneurs étrangers les plus patients, du style de l’espagnol qui dirigeait l’entreprise Vima ont fait leurs valises et sont rentrés chez eux. Le consortium entre la parfumerie Suchel et les capitaux ibériques apportés par Camacho tire à sa fin et, face à l’absence de teintures, mes amies laissent voir leurs cheveux blancs. Le temps où le pays achetait d’abord et payait ensuite est terminé. Il y a maintenant tellement de dettes qu’il est difficile d’attirer les capitaux et d’obtenir du crédit. Les effets de la crise se ressentent fortement dans la vie quotidienne où un savon coûte 30% de plus qu’il y a à peine un an. Les maîtresses de maison se grattent la tête devant leur fourneau en se plaignant que les salaires, à peine touchés en fin de mois, leur filent entre les doigts. Pas même les bénéficiaires d’un envoi de l’étranger, ou les habiles commerçants du marché informel n’ont la vie facile.
Peu de personnes se souviennent de ce discours prononcé il y a trois ans à Camagüey dans lequel Raoul Castro évoquait la possibilité d’un verre de lait pour chaque cubain. Bien au contraire le discours qu’il a prononcé dimanche dernier nous a parlé de tranchées, de parapets et d’images apocalyptiques de l’île s’enfonçant dans la mer. Courant à la recherche de nourriture rare, nous avons eu peu de temps pour réfléchir à ce qui a été dit au Palais des Congrès mais les menaces d’un nouveau siège de Numance planent au-dessus de nous. Prises au premier degré elles présagent que nous attend un trou de rats humide, entouré de sacs de sable avec un fusil pour tirer sur on ne sait qui, et cette dernière balle en réserve que nous utiliserons contre nous-mêmes. Pendant que le général restera droit dans ses bottes, et vérifiera à distance que nous exécuterons l’ordre final d’immolation Traduit par Jean-Claude MAROUBY
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Posté par vmozo4328 le 18 avril 2010

C’est justement hier, veille de la présentation au Chili d’une compilation de mes textes, sous le titre « Cuba Libre », que m’est parvenue une information de la Direction Centrale des Douanes. M’y était confirmée la confiscation de dix exemplaires de mon livre envoyés via DHL. On m’y expliquait ce qui suit dans le langage bref et suranné de la bureaucratie :
Lors de l’examen physique de l’envoi a été détectée une documentation dont le contenu porte atteinte aux intérêts généraux de la nation ; pour cette raison il a été procédé à sa saisie en conformité avec la législation en vigueur. J’essaie d’imaginer la scène des « spécialistes » en train d’élucider s’ils allaient permettre ou non que le livre passe les frontières de cette île et arrive jusqu’à moi. Chercheraient-ils dans ses pages quelque image obscène qui pourrait offenser la morale ? Ils ne l’ont sûrement pas trouvée entre les photos de pancartes enflammées de slogans politiques, des entrailles dilapidées d’une automobile abandonnée et de drapeaux cubains déroulés au-dessus d’un marché où la monnaie nationale n’est pas acceptée. Cette dernière photo peut paraître obscène mais ce n’est pas ma faute. Ceux qui ont épluché les phrases de cuba Libre seraient-ils des grammairiens zélés en quête d’une possible erreur ou d’une faute de conjugaison ? Sinon s’agissait-il d’analystes militaires, recherchant entre les paragraphes de mes chroniques, au moyen de codes secrets, des révélations sur l’économie ou des documents secrets sur la Sécurité de l’Etat ? Ils n’ont rien trouvé de tout ça, pas même la recette du « guarapo », cette boisson nationale quasi disparue que l’on obtient en pressant la canne à sucre.
Je me contente d’imaginer que ceux qui ont empêché la version espagnole de mes textes d’atteindre les centaines de mes amis, parmi lesquels elle aurait circulé, étaient des gens mal informés, plus disciplinés que lettrés. Ils étaient probablement déjà alertés par les écoutes téléphoniques branchées en permanence sur mon téléphone ; on les avait peut-être même prévenus de ne pas se donner la peine de regarder le contenu. Si trois ans de publication sur le cyberspace avaient seulement servi à ce que mes paroles parviennent jusqu’à ces censeurs louches, j’aurais là un motif suffisant de satisfaction. Quelque chose de moi resterait en eux, de la même manière que leur présence répressive a marqué mes chroniques et les a poussées à fuir vers la liberté.
Traduit par Jean-Claude MAROUBY
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Posté par vmozo4328 le 17 avril 2010

Légende de la photo : Ni visages ni mains, juste des jambes pour partir.
Le plus grand rendez-vous de l’Union des Jeunes Communistes a pris fin à la Havane, mais son aîné, le Parti, n’a pas encore annoncé la date à laquelle il célèbrera son sixième congrès. Raul Castro a affirmé au début de l’année 2009 qu’il convoquerait –dans les meilleurs délais- une conférence nationale du PCC, mais aujourd’hui encore, personne ne peut la situer sur le calendrier. L’UJC l’a donc devancée en se réunissant au Palais des Conventions et en discutant de thèmes qui auraient pu donner naissance à de fructueuses polémiques si tout cela s’était déroulé dans une atmosphère de respect véritable.
Sous le slogan « Tout pour la Révolution », des centaines de visages juvéniles ont observé la table présidentielle pleine de fonctionnaires ayant tous dépassé les six décennies de vie. L’ancienne génération n’était pas là pour dire aux plus jeunes « ce pays est aussi le vôtre, c’est maintenant à vous de décider des voies à suivre », mais plutôt pour les exhorter au sacrifice, pour les réprimander pour leur manque de combativité ; ils ont aussi voulu leur arracher des engagements de continuité et de fidélité éternelle. Ce sont les typiques actions auxquelles se livre un parti politique face à son vivier, mais dans le cas cubain, il s’agit aussi de la seule organisation pour les jeunes autorisée par la loi. Il est surprenant de voir qu’à un âge où ils adoptent les postures les plus variées et où ils défendent les causes les plus incroyables, on n’autorise nos jeunes qu’à militer avec une carte rouge. Nombre d’entre eux, s’ils bénéficiaient de circonstances plus libres, iraient grossir les rangs d’un groupe écologique, se joindraient à un piquet d’activistes syndicalistes ou s’affilieraient pour exiger l’arrêt du service militaire obligatoire.
Ceux qui font aujourd’hui partie de l’UJC sont nés alors que la Période Spéciale avait déjà commencé, ils n’ont pas eu de jouets dans les magasins de produits rationnés et ils n’ont bu de lait –légalement- que jusqu’à l’âge de sept ans. Ils ont grandi grâce au marché noir et s’ils ont porté des chaussures, c’est parce que leurs parents ont détourné des biens de l’état ou ont demandé à un parent exilé de l’aide pour les acheter. Il s’agit d’une génération élevée en plein apartheid touristique qui empêchait les Cubains d’entrer dans les hôtels ou d’accéder à certains services ; des enfants nourris à coups de consignes vides dans les écoles et d’expressions de lassitude dans leurs foyers. Malgré leur engagement loyal, je les soupçonne de nourrir des rêves de revanche, d’imaginer ce moment où ils rompront toutes les promesses faites à leurs aînés.
Traduit par M. KABOUS.
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